Patois
Le patois d'Évolène s'inscrit dans le vaste paysage des langues romanes et relève du domaine linguistique francoprovençal.
Par Gisèle Pannatier, Evolèn’Art
La langue représente la plus belle expression du patrimoine auquel les Évolénards témoignent leur fort attachement. Non seulement le patois constitue un riche outil de communication et offre les moyens d'exprimer le monde mais surtout il construit la vision du monde et forme la pensée des locuteurs. La civilisation régionale autant que l'environnement sont profondément modelés par la langue patoise qui s'est transmise sans interruption d'une génération à l'autre si bien que, aujourd'hui, Evolène est la dernière commune en Suisse romande où des enfants parlent spontanément en patois. Le patois reste heureusement la langue de communication sur l'ensemble du territoire.
Un patois francoprovençal
Le patois d'Évolène s'inscrit dans le vaste paysage des langues romanes et relève du domaine linguistique francoprovençal : il ne constitue pas une variante du français. Il se démarque des autres patois contemporains par la richesse de son vocabulaire et par la complexité de sa grammaire. Les patois francoprovençaux se déploient dans le foisonnement de la parole, échappant à la standardisation des langues écrites. Manifestation de l'oralité, la variation, inhérente au patois, se développe dans des limites que la communauté évolénarde dessine et respecte.
Le lexique, en plus du pan essentiel remontant au latin, comporte des éléments préromans tels que « lù bârma », rocher en surplomb ou « lù byeùnyo », glacier, et d'autres qui sont venus des langues germaniques comme « lù bârda », grande hache, ainsi que des emprunts à l'alémanique « brèhà », broyer le chanvre, au français, ou, plus récemment, à l'anglais… Langue d'une terre, langue riche d'une longue expérience communautaire, le patois d'Évolène continue à résonner dans le concert des langues modernes.
Un riche vocabulaire
La richesse du patois englobe toutes les notions et invite à formuler la totalité de l'expérience humaine, la langue indigène ne se réduit de loin pas à la seule dénomination des activités agro-pastorales. La précision relative au découpage de la réalité caractérise notamment le patois. La pierre sculpte le paysage alpin, aussi le patois reflète-t-il l'importance de cet environnement. À titre indicatif, les petites pierres non dénombrables se désignent ainsi : « dè lyavìn », du gravier; « dè lyék », dépôt de petites pierres. Quant aux pierres susceptibles d'être enlevées une à une, nous disposons d’une terminologie relativement précise : « oùnna purrèta », une petite pierre comme celle qui se glisse dans le soulier; « oùnna pîrra », un caillou; « oùnna rôtse », une pierre aisément transportable; « oùnna groùnma », une pierre arrondie qu’on tient dans une main et qu’on peut lancer. Dans le terrain, on rencontre : « oun légjyè », un rocher d’affleurement; « oun grùtchyo », une pierre fixée dans le sol; « oun grèpê », un gros caillou; « oun ché », un rocher; « oùnna paréi dè ché », une falaise; « lè chèrre », les sommets de haute altitude. Selon la forme, le patoisant distingue ainsi les pierres aplaties : « oun palètt », une pierre plate et arrondie, utilisée dans un ancien jeu de garçon, petite dalle placée sur les quilles qui soutiennent nos raccards et nos greniers; « oun larpé », une dalle; « oùnna lé », une ardoise de couverture.
L'échelle qui ordonne la réalité est fixée autant par la nomenclature patoise que par la représentation que s'en fait le patoisant. La communauté évolénarde garantit que ses membres partagent la même façon de voir et d'exprimer.
La langue du cœur
Bercé par le murmure rassurant de la langue familiale, porté par une parole vigoureuse qui s'enracine dans un espace et dans une relation de proximité, le patoisant ressent à quel point le patois structure sa personnalité. La langue constitue un trésor dans l'expression figurée pour signifier les notions abstraites. Grâce à la transmission orale, le patois exprime, par des légendes, par des récits, par des proverbes, par des expressions figées et par des références communes, un système de valeurs qui fondent le lien social. Dans la parole entendue et partagée, le patois se définit comme la langue du cœur.